mercredi 1 juin 2011

SILK: Entretien avec Su Chao-pin (Cannes 2006)

Cela fait plus de deux décennies qu’on croyait le cinéma de genre taiwanais mort et enterré. Avec Double Vision et Silk, le scénariste et réalisateur Su Chao-Pin, est bel et bien en train de le ressusciter. 

Su Chao-pin à Cannes (Mai 2006)

Comment êtes-vous arrivé dans le milieu du cinéma ?

Un jour, j’ai décidé de quitter mon métier d’ingénieur informatique pour consacrer mon temps au cinéma. Je suis un grand fan de comics, de romans et bien sûr de films. Quand j’étais à l’université, je dessinais pas mal de comics. Ma passion m’a poussé à prendre la décision radicale de quitter mon job et c’est ainsi que j’ai commencé à écrire des scénarios. A l’époque, je ne savais pas comment on faisait un film, j’ai donc choisi un sujet que je connaissais bien. Comme mon père est chauffeur de taxi depuis plus de trente ans, raconter l’histoire d’un chauffeur de taxi à Taiwan était une évidence pour moi.  C’est ainsi que j’ai écris The Cabbie de Chen Yi-Wen & Zhang Hua-kun. C’est un film indépendant qui n’a pas beaucoup marché au box-office mais qui a eu une seconde vie grâce à la télévision et aux chaînes câblées. C’est grâce à ce film que des responsables de la branche asiatique de Columbia Pictures m’ont contacté. Ils avaient beaucoup aimé l’histoire de The Cabbie et m’ont proposé d’écrire un film commercial, Double Vision.

 "The Cabbie" (2000) / "Better Than Sex" (2001)

Est-ce le succès de Double Vision qui vous a permis de pouvoir réaliser votre premier film de genre à gros budget, Silk ?

En quelque sorte. Mais avant ça, j’ai aussi fait mes preuves en tant que réalisateur avec Better Than Sex, une comédie dont le héros est un adolescent qui rencontre des problèmes à cause de son membre démesuré. Contrairement à The Cabbie, ce film n’avait rien d’autobiographique (rires). Malgré le succès critique et public de Double Vision, qui a établi ma réputation de scénariste à Taiwan, le processus de financement de Silk fut très long. La recherche d’investisseurs a duré environ un an. Même si le cinéma d’auteur a toujours aussi bonne réputation à l’étranger, la situation économique du cinéma taiwanais est vraiment désastreuse. Les recettes des productions locales représentent à peine 1%, le box-office étant dominé généralement par les films étrangers et en particuliers ceux d’Hollywood. Le triomphe de Double Vision à Taiwan, a prouvé aux professionnels de l’industrie, qu’il nous faut plus de films commerciaux pour le public local. 

 "Double Vision" (2002) de Chen Kuo-fu, écrit par Su Chao-pin

Silk tient autant du film à suspense que du drame intimiste. Pourquoi cette approche ?

A la base, je souhaitais raconter une histoire de fantômes très différente de ce que l’on a l’habitude de voir. Généralement, dans un film d’épouvante, on ne sait jamais où se trouvent les fantômes, alors que dans Silk, il est localisé dès le début et le spectateur est en mesure de le voir quasiment tout le temps. Je n’ai pas voulu baser mon film sur les effets de surprise et de frayeur habituels. Ce qui m’intéressait surtout, c’était de concentrer l’histoire sur le drame humain que vivent les protagonistes, et de décrire les rapports entre les gens.  Je pense que le fil de soie représente la connexion émotionnelle qui existe entre chacun de nous. Par exemple, quand vous aimez quelqu’un, même si cette personne ne le sait pas, la connexion entre cette personne et vous va néanmoins se créer de façon invisible. La partie fantastique de Silk n’est, pour moi, qu’un habillage commercial.   

"Silk" de Su Chao-pin (2006)

Avez-vous effectué des recherches concernant la partie paranormale du film ?

Tout à fait, et croyez-le ou non, le cube que l’on utilise dans le film, destiné à capturer les fantômes, existe vraiment ! Il a été inventé par un scientifique japonais et il est possible de s’en procurer au Japon pour 10000 euros pièce. Sa fonction correspond exactement à celle que vous voyez dans le film, capturer une vague électromagnétique durant un temps très court. Cette découverte m’a évidemment fasciné. Du coup, j’ai combiné l’idée de la soie avec le concept du cube, et c’est de là qu’est partie l’histoire de Silk

 "Silk" de Su Chao-pin (2006)

Quelle fut la scène la plus difficile à tourner sur le tournage de Silk ?

La scène de collision automobile. Elle a été tournée près de la plus grande station de métro à Taiwan. De plus, j’ai tourné cette scène un samedi soir, quand les rues étaient remplies de monde. Malgré ça, nous avons réussi à garder le contrôle de la situation. Il s’agissait, en plus, du dernier jour de tournage de Silk. C’était donc très stressant. Dans l’ensemble, travailler sur Silk a été une expérience très éprouvante. Il y avait sans cesse des hauts et des bas. Cela nous a pris au moins trois mois pour trouver les différents lieux de tournage, qui sont très nombreux, entre quarante et cinquante. Mais la difficulté principale venait du problème de communication que j’avais avec l’équipe technique qui gérait les effets spéciaux. La société qui s’occupait de cette partie était basée à Hong Kong, tandis que le film était tourné à Taiwan. Travailler dans ces conditions n’a pas du tout été évident. Le tournage de Silk a duré deux mois et la post-production huit. Ce film m’a pris en tout dix-huit mois de ma vie. Aujourd’hui je suis enfin soulagé. Durant la projection de Silk à Cannes, je n’étais même pas concentré sur le film. Je repensais à toutes les étapes que j’avais du franchir pour en arriver là. 

 "Silk" de Su Chao-pin (2006)

Qu’est-ce qui a motivé le choix de vos comédiens dans Silk ?

J’ai juste choisi les différents acteurs et actrices de Silk en fonction de leur personnalité. Nous avons fait au moins trois séances de lecture de scénario avant le tournage. Je les voyais également très souvent pour pouvoir répéter et travailler leur personnage. Le casting de Silk est assez international : Chang Chen vient de Taiwan, Karena Lam de Hong Kong, Egushi Yosuke du Japon etc… Maintenant ce genre d’association devient très commun en Asie, car le marché asiatique forme aujourd’hui un tout qui s’agrandit de jour en jour. Parfois, dans les séries télé à Taiwan, nous avons des acteurs coréens, japonais ou hongkongais.

Barbie Hsu, Chang Chen et Karena Lam à Cannes (Mai 2006)

Avez-vous un nouveau projet ?

Pour mon prochain film, je souhaite me replonger dans la comédie. Il s’agira d’un film nonsensique complètement fou, encore plus dingue que Better Than Sex. J’adore les films de Hong Kong avec Stephen Chow du début des années 90. Avec mon prochain, j’ai l’intention de créer un nouveau style de comédie typiquement taiwanais.

Propos recueillis par Frédéric Ambroisine à Cannes (mai 2006)

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