mardi 24 mai 2011

BREAKING NEWS: Entretien avec Johnnie To (Cannes 2004)

Pour beaucoup, Johnnie To est considéré un peu aujourd'hui comme le dernier espoir du cinéma de genre "Made in Hong Kong". C'est également un des rares de sa trempe à ne pas - encore - avoir tenté d'escapade hollywoodienne comme ses confrères John Woo, Ringo Lam, Tsui Hark ou Kirk Wong. La reconnaissance internationale de Johnnie To s'est faite d'une autre façon, en 2004, durant le 57ème Festival de Cannes grâce à la sélection de Breaking News (dont la sortie prévue dans les salles françaises le 20 avril 2005). C'est là que nous avons pu rencontrer ce cinéaste aussi prolifique que surprenant…


Fred Ambroisine : Breaking News n'est même pas encore sorti à Hong Kong, qu'un remake américain est déjà annoncé. Que pensez-vous de cette nouvelle mode, de refaire des films asiatiques, proviennant autant de Hong Kong - Infernal Affairs - que de Corée - Old Boy & 2 Sœurs - ? Hollywood est à cours d'idées selon vous ?

Johnnie To : Ah, les remakes... oui, ce sont des choses qui arrivent de plus en plus fréquemment. La demande du marché est très forte en ce qui concerne les droits des films asiatiques à Hollywood. Les réalisateurs commencent à se rendre compte de la valeur de leurs idées à l'étranger. De ce point de vue, c'est un grand encouragement, et il n'y a pas de quoi se plaindre. Ce serait un peu gonflé de dire que Hollywood "vole" les idées du cinéma asiatique, car ce n'est pas vrai. Pendant longtemps, le cinéma de Hong Kong n'a pas arrêté de reprendre des formules du cinéma américain…


FA : Depuis quelques années vous alternez les comédies romantiques ultra commerciales (Needing You, Love and A Diet...) et les polars personnels au style expérimental (The Mission, PTU…). Breaking News semble posséder à la fois un côté commercial et personnel. Etes-vous d'accord ?

JT : En général, quand je tourne un film commercial, c'est pour avoir la possibilité de pouvoir réaliser dans la foulée une œuvre personnelle qui ne marchera pas forcément au box-office. Sans cette technique, des films comme The Longest Nite (NDR : que Johnnie To co-réalisa officieusement avec Patrick Yau) ou Expect the Unexpected, n'auraient pas pu exister. De nos jours, les films commerciaux sont, en général, oubliés du public après cinq ans.


Donc, je sais qu'au final, ce sont mes films personnels qui resteront dans les mémoires…Concernant Breaking News, le film a été conçu comme une œuvre commerciale. A la base, les investisseurs voulaient que je fasse un film pour le grand public. Mais comme vous le savez, j'ai une très grande affection pour le polar, et je n'ai pas pu m'empêcher d'inclure mon style particulier à cette histoire pour lui donner une autre dimension. Vous avez tout à fait raison, Breaking News possède à la fois une sensibilité commerciale et mon style personnel, et ce mélange me satisfait pleinement.

FA : Avez-vous tenté de retrouver l'esprit des films d'action des années 80/90 comme The Big Heat (1988 - produit par Tsui Hark) ou ceux des polars de Ringo Lam et Kirk Wong par exemple ?

Johnnie To : Même si son côté réaliste et brut peut le laisser penser, Breaking News n'est pas vraiment un hommage aux polars d'antan. Au contraire, en faisant ce film, mon intention était d'apporter quelque chose de nouveau au genre. Les polars "à l'ancienne" de Hong Kong traitaient surtout des problèmes de la bureaucratie policière. Ce thème a été répété un nombre incalculable de fois. Si on me l'avait proposé, j'aurais refusé.


FA : Vous êtes vous inspiré de faits réels pour créer l'histoire de Breaking News ?

JT : Le côté réaliste de Breaking News est un des aspects du film auquel je tenais absolument. Par exemple, la façon dont les officiers de police prennent en main les opérations, est basée sur des recherches très approfondies. Le film suit avec détail les procédures policières en se rapprochant le plus possible de la réalité. Prenons le cas de la scène de fusillade dans l'immeuble. Celle-ci est inspirée à 100% de faits réels. Par le traitement réaliste de la mise en scène, je voulais que le public comprenne qu'il ne s'agit pas uniquement de pure fiction. Je voulais donner au public l'impression a un reportage télévisé en direct. C'est pour cette raison que je n'ai pas voulu utiliser de véritables effets spéciaux pour Breaking News, mais uniquement des fusillades et des effets pyrotechniques "à l'ancienne". Je souhaitais que le réalisme du film se ressente à 100%.


FA : Le méchant du film, joué par Richie Jen, n'est pas vraiment maléfique. On pourrait même le trouver sympathique par moment. Au contraire, le personnage de Kelly Chen est plutôt antipathique. Pourquoi ce choix ?

JT : Je suis d'accord avec votre commentaire sur l'inversion entre le bon et le méchant. Le personnage de Richie est un voleur. Un bandit qui, à la base, ne cherche pas à tuer. Tout ce qu'il veut, c'est voler. S'il ne pouvait faire que ça, il le ferait. Je pense qu'il n'est pas si mauvais dans le fond. Par contre, la motivation du personnage de Kelly, c'est la victoire. Son but est de gagner la confiance de la population par le biais de la télévision. Pour cela, elle est prête à faire tout ce qui est en son pouvoir. Effectivement, le fait de manipuler les médias n'est pas vraiment sympathique, mais ce n'est pas quelque chose d'illégal non plus. Dans Breaking News, il n'y a pas vraiment de gentils ou de méchants, il y a juste des personnages avec des motivations différentes. Ces motivations mèneront les protagonistes à une confrontation inévitable.


FA : C'est la première fois que vous travaillez avec Richie Jen et Nick Cheung ? Comment les avez-vous choisis et dirigés ?

JT : C'est un film qui relate les interactions entre gangsters et policiers. Les comédiens étaient déjà bien préparés avant le début du tournage. Pour qu'ils le soient plus encore, nous avons fait des répétions du plan séquence initial. J'ai donc commencé à tourner cette scène, techniquement très difficile, en premier, histoire de les mettre dans le bain. Je n'ai pas choisi ces comédiens, ils m'ont été imposés par la société de production Media Asia. Mais de toute façon, en tant que réalisateur, j'aime travailler avec de nouvelles têtes. Si je ne faisais que diriger toujours les mêmes gens, je pense que je perdrais la fraîcheur de notre collaboration.


Propos recueillis à Cannes (mai 2004) par Frédéric Ambroisine. Remerciements à Céline Petit & Sophie Bataille.

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