samedi 4 juin 2011

CALIBRE 9: Entretien avec Jean-Christian Tassy (Juin 2009)

Yann Moreau un jeune urbaniste corrompu, se retrouve manipulé par une arme à feu… possédée par l’esprit d’une prostituée assassinée. Tel est le pitch farfelu du premier long-métrage de Jean-Christian Tassy, « Calibre 9 », comédie d’action sanglante et spectaculaire tournée entre 2007 et 2009, terminée en 2010 et montrée en première mondiale en le 23 avril 2011 à Lyon dans le cadre du festival Hallucinations Collectives. L'interview qui suit fut réalisée alors que le film était encore en post-production… 

Frédéric Ambroisine : Qu’est-ce qui t’as poussé à faire du cinéma ?

Jean-Christian Tassy : Je pense avoir été traumatisé assez tôt par « Duel » de Spielberg et « Le bon le brute et le truand » de Leone. Au collège déjà, avec une bande de potes on faisait des remakes au caméscope de tout un tas de films qu’on adorait. L’influence des films de Van Damme et Jackie Chan début 90 a été je pense, le moteur le plus important. Quand tu regardes ces films en boucle deux ou trois fois dans la semaine, tu apprends très vite la grammaire cinématographique et forcement t’as envie de faire la même chose.

FA : Quand as-tu étudié à l’École Supérieure d'AudioVisuel ? Qu’as-tu appris durant cette formation ? 

JCT : Je suis rentré à l’ESAV sur Toulouse en 1999, et de cette école j’ai surtout appris à me démerder par moi-même.  C’est dans ce genre d’école que tu trouves des amis à vie. Nous étions un petit groupe qui faisait en général l’inverse totale de ce qu’attendait les enseignants. Des fois ça hurlait mais en général ces mêmes profs nous soutenaient dans notre démarche. C’est ce que t’apporte une école comme l’ESAV : une liberté absolue de créer ce que tu veux. Après si ton film est nul, c’est uniquement ta faute. Quand j’ai réussi le concours de l’ESAV, mon père m’a offert un ordinateur pour faire du montage, sur lequel je me suis fait les dents et à l’école le montage en numérique n’existait pas encore. C’est moi avec d’autres potes qui enseignaient le montage aux autres élèves. Je me suis spécialisé en réalisation à l’ESAV mais j’ai commencé à gagner ma vie en faisant du montage alors je me suis spécialisé dans cette voie…

FA : Quand a été créée l’association Dark Factory ?

JCT : L’association a été créée en 2004, c’est Eric Cherrière (réalisateur toulousain) le fondateur et aussi le co-scénariste de « Calibre 9 ». C’est grâce à elle que j’ai eu envie de revenir avec une structure appropriée à la réalisation de fiction. Le but de cette association est de produire des films de genre dans la région du Sud Ouest avec les moyens du bord. Elle permet de faire des demandes de subvention au près de la Région Midi Pyrénées et autres organismes…

FA : De combien de personnes est-elle composée ?

JCT : Elle est composé de cinq réalisateurs : Eric Cherrière, Catherine Aïra, Julien Fournet, Kevin Favillier et moi-même. Il y a aussi quelques personnes qui tournent pour faire la communication de notre  association.

FA : Comment fonctionne-t-elle ?

JCT : Elle fonctionne essentiellement au système D, elle prête et loue du matériel à des prix défiants toute concurrence et surtout elle met en relation les gens en fonctions de ce qu’ils recherchent. Par exemple si tu cherches un chef op’, un monteur, un régisseur ou autre, nous avons un carnet d’adresse assez gros pour faire en sorte que le projet du film puisse aboutir. Après, c’est comme L’ESAV, tu te démerdes…


FA : Est-ce que le titre du film est un hommage à « Milan Calibre 9 » de Fernando di Leo ? De plus, l’acteur principal a un peu la même tête que Gastone Moschin. C’est volontaire ?

JCT : Je n’ai pas encore vu ce film, mais je me suis juré de le voir une fois le montage du mien fini. J’ai trouvé l’acteur principal de mon film Laurent Collombert, diw=x jours avant de commencer à tourner - suite au désistement d’un autre - donc si ressemblance il y a, c’est grâce au destin. En revanche j’ai énormément réfléchi à ce que l’ambiance de « Calibre 9 »  soit oui, un espèce d’hommage à la virulence des polars Italiens des années 70, qui étaient des films tournés dans l’urgence avec des héros qui faisaientt souvent justice eux même.


FA : Quand a commencé la préparation du film ?

JCT : La préparation a vraiment commencé en 2007 sachant que nous avions une subvention depuis 2005. Mais il a fallu un temps fou avant vraiment que je m’engage dans ce chaos. Quatre mois avant le début du tournage j’hésitais encore entre un long ou un simple court métrage tellement je flippais de me rater. Sachant qu’au tout début de l’aventure j’avais uniquement ma chef op’, Chloé Robert, qui avait envie de faire le film.  Il a fallu avec son aide, convaincre plein d’autres personnes.

FA : Combien de temps a-t-il fallu pour réunir toute l’équipe ?

JCT : Tout s’est fait dans l’urgence, l’équipe était très jeune, ils étaient contents de se faire les dents s sur mon film. On va dire qu’il y a quelques postes qui sont restés jusqu’au bout - chef op’, preneur de son, assitant réalisateur, maquileur effet spéciaux et régie -  le reste ça tournait beaucoup. C’était du genre : « Tu fais quoi demain ? Rien ? Eh bien tu seras cadreur seconde caméra de « Calibre 9 » ! ». Pour les comédiens, j’ai essayé de faire un max de répétition, mais dans l’urgence, tu prends les gens qui veulent vraiment le rôle. Si la personne avait une bonne gueule et une belle voix, c’était bon : elle avait le rôle…

FA : Est-ce que tu penses que c’est plus facile de trouver des bénévoles quand il s’agit de travailler sur un film de genre ?

JCT : Oui, quand tu tournes un week-end avec tes potes dans une maison abandonnée. Mais quand tu es responsable de minimum quinze personnes sur au total 45 jours de tournage, tu marches sur des œufs sans arrêt et tu guettes la rébellion tous les jours.  Je n’ai jamais été autant poli que sur le tournage de mon film.  Après, c’est sur que dès que tu tournes une séquence d’action en pleine rue, l’équipe est surmotivée, donc peut être que oui, le genre y est pour quelque chose.


FA : Tu es à la fois réalisateur et chef-monteur de « Calibre 9 ». Pourquoi avoir cumulé ses deux fonctions ? Pas le choix, ou tu penses qu’on est jamais mieux servi que par soi-même ?

JCT : Je pense d’abord un peu par orgueil, mais aussi surtout parce que je ne voulais pas de scripte sur ce film, ça m’aurait plus embrouillé qu’autre chose. Donc au final, si je me retrouve avec un monteur vierge du tournage, je vais devoir perdre un temps infini à lui expliquer où sont rangés les rushes, pourquoi ça été filmé de telle manière etc… Je pense faire appel à un monteur peut être vers la fin du premier montage pour avoir un regard objectif du film. J’espère de tout cœur trouver un jour un monteur sur lequel je pourrais me reposer.


FA : Dans le reportage de TLT, il est dit que les subventions reçues on servi aux costumes, à l’essence et à la nourriture. Mais il est clair également,  qu’une grande partie du budget à du servir aux effets sanglants, et aux scènes de fusillades. Quel a été le « Budget Sang & Armes à Feux » du film ?

JCT : J’avais récupéré pas mal de trucs d’anciens tournages  - guns, balles à blanc etc – et je sais que j’ai du mettre 1000 Euros en achat de flingues et autres. J’ai dis à mon maquilleur Kevin Favillier qui s’occupait des impacts et autres : « T’as 400 Euros pour tout le film, tu te démerdes ».  Kevin a brûlé un cierge et Dieu l’a apparemment aidé.

FA : Qui a chorégraphié les scènes d’actions ? 

JCT : J’ai chorégraphié la plupart des séquences d’action en collaboration avec mon assistant Raphael Piccin, mais sur le plateau il y avait en général des idées que je chopais par ci par là. Ces idées venaient en général du comédien principal (pratiquant et enseignant d’Aïkido) qui avait des idées assez cool sur le placement de son corps en fonction de telles séquences d’actions. Kevin Favillier, avec l’aide de Jean-Frédéric Chaleyat, me donnaient dès fois des pures  idées de mise en scène et quand ça ne ressemblait pas trop à du Bruno Matteï, je disais « OK les gars, C’est cool, on fait à votre idée ». Il y a quelques séquences de luttes qui ont été supervisé par un pote cascadeur Frédéric Hess, de la Troupe du Grand Koungké.


FA : Comment envisage-tu la carrière du film une fois qu’il sera terminé ?

JCT : Pour l’instant j’ai eu une chance incroyable sur ce film tourné quand même sur deux ans, le premier trailer nous a permis de taper dans l’œil d’un producteur, Axel Guyot de la société Les films d’Avalon, et qui a pris le film très au sérieux. Si jamais on arrive à le vendre à une chaîne TV et permettre de pouvoir payer l’équipe du film, ça serait super cool mais avant il faut le finir et tenter les festivals. J’espère qu’on pourra avoir une copie Zéro et pouvoir démarcher, On a fait un test de kinescopage (HD sur Pellicule 35) et franchement ça tabassait sévère pour un film tourné dans ces conditions.

FA : L’association femme justicière et armes à feu ont toujours fait bon ménage dans le cinéma. Mais dans ton film, tu choisis carrément de fusionner les deux. D’où t’es venu cette idée farfelue ?

JCT : Ca n’a pas grand-chose à voir mais la première inspiration du concept vient d’abord du film « Memento » de Christopher Nolan.  Au début du film, le montage se fait à l’envers et je crois que c’est Guy Pearce qui jette son arme mais à l’envers, ça s’aimante à sa main. Alors je me suis dis, tiens ça serait cool d’explorer une histoire de manipulation avec une arme qui fait à son personnage des choses qu’il n’a pas forcément envie de faire. Une espèce de relecture des « Mains d’Orlac ». Puis j’ai imaginé assez vite que le pistolet pourrait lui parler mais comme une nature morte. Je voulais une utilisation du fantastique assez minimaliste. Vu l’univers  assez masculin dépeint dans le film je pensais qu’il valait mieux que ce soit une femme qui trouve sa place dans l’arme et que ce soit dans une première partie de l’histoire la véritable justicière du film. Ensuite je voulais qu’une relation amoureuse s’établisse entre cette arme et le personnage principal. Je me suis dis que j’en allais en prendre pour minimum cinq ans, alors il fallait que ce soit barré jusqu’au bout. Ensuite Eric Cherrière, le co-scénariste en a remis une couche et cela a permit de finaliser un scénario de total contre culture !

FA : Parlons de l’actrice principale, Nathalie Hauwelle. Comment l’as-tu découverte et pourquoi l’as-tu choisi ?

JCT : Je connais Nathalie car j’ai monté un court métrage « John 32 » d’Eric Cherrière  - disponible sur le DVD de « Beyond Réanimator » - dans lequel elle avait le premier rôle. C’est l’époque où je ne connaissais pas forcement 10000 comédiennes sur Toulouse et en même temps j’avais pas l’impression de me tromper en pensant à elle.  Je trouve qu’elle passe super bien à l’image et je trouve le timbre de sa voix très cinématographique.  Je lui ai montré le scénario en 2005 et en 2007 je la rappelle et je lui dis : « Tu veux toujours tourner dans mon film ? ». Comme elle est un peu timbrée, elle a dit oui.


FA : Pourquoi avoir fait de ton héroïne une (ex-)prostituée ?

JCT : A l’époque, « Sin City » de Rodriguez  n’étais pas encore sorti, et plein de potes me faisait découvrir les œuvres de Frank Miller. Cela a, je crois, beaucoup compté et  je me suis dis s’il y a bien des femmes qui veulent se venger des mecs, ce sont bien les prostituées. En même temps je voulais qu’elle soit une prostituée comme Melville les filmait dans ses polars. De façon assez prude. Je l’ai plus filmé comme une femme fatale que comme une prostituée contemporaine….


FA : Est-ce qu’il a été facile de la convaincre Nathalie Hauwelle d’incarner une arme à feu pendant la majorité du film ? 

JCT : Quand je lui ai expliqué son rôle, je lui ai dit : « Dans mon film, tu es le personnage principal du scénario et en même temps on ne risque pas de te voir plus de 20 minutes dans le film ».  Elle a paru surprise puis quand je lui ai expliqué le principe, ça lui a bien plu.  De toute façon, elle ne pouvait m’accorder beaucoup de temps, vu qu’elle joue énormément au théâtre dans les quatre coins de la France.

FA : Comment l’as-tu dirigé pour ses « scènes réelles » ?

JCT : Je l’ai dirigé du mieux que je pouvais, il fallait que je la mette en confiance qu’elle ne sente pas convoquée sur le plateau pour être uniquement de la chair à canon. Le premier jour de tournage, elle devait tourner avec des comédiens jouant ses clients. Trois clients qui devaient lui passer dessus. Ça c’était le matin. Ensuite l’après midi, elle devait descendre - et donc remonter - trois étages - en tout une quinzaine de fois -  de l’hôtel miteux en  petite tenue devant plein de figurants. Et le soir, elle devait sortir en nuisette sous la pluie en pleine rue. Elle a fini la soirée en pleurs et le lendemain elle était à l’heure toute souriante !!!

Entretien réalisé en juin 2009 par Frédéric Ambroisine.

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