jeudi 2 juin 2011

NOUVELLE CUISINE: Entretien avec Fruit Chan (Pusan 2004)

Né en 1959 à Guangzhou (Chine) sous le nom de Chen Guo, Fruit Chan émigre à Hong Kong à l’âge de 10 ans. Considéré aujourd’hui comme le chef de file du cinéma indépendant de Hong Kong, il débuta pourtant dans le milieu du cinéma en travaillant sur des films on ne peut plus commerciaux. Il fut en effet au milieu des années 80, l’assistant d’un des maîtres du cinéma d’action, Sammo Hung (Le Flic de Hong Kong). Durant ces années de formation, Fruit Chan joua également les seconds couteaux dans des films d’action divers, notamment avec Jackie Chan (First Mission), Michelle Yeoh (Le Sens du Devoir 2) et Danny Lee (Law Enforcer).

En 1991, il a l’opportunité de passer derrière la caméra et met en boite la comédie romantico-fantastique Finale In Blood. Une expérience peu concluante. Ce n’est qu’au milieu des années 90 qu’il commence à toucher au cinéma d’auteur, d’abord en tant que scénariste pour Yonfan (Bugis Street), puis en tant qu’assistant pour le cinéaste Shu Kei (qui réalisa entre autres, le très acclamé Hu-Du-Men en 1996, avec Josephine Siao). En 1997, Fruit Chan décide de prendre les choses en main en réalisant son second long-métrage par ses propres moyens : Made In Hong Kong.

Ce premier film d’une trilogie consacrée à la rétrocession, dont il est également scénariste, monteur et co-producteur, rafle une multitude de prix dans divers festivals (Pusan, Nantes, Hong Kong, Locarno, Taiwan…). Doté d’un budget de 80 000 $US, le film est interprété par des non-professionnels et révèle notamment le jeune Sam Lee (qui est aujourd’hui une star très populaire à Hong Kong). Il termine sa trilogie avec The Longest Summer (1998) et Little Cheung (2000) avant d’enchaîner avec un film traitant de la prostitution, Durian Durian (2000), qui vaut à son interprète principale, Qin Hai-lu, quelques soucis avec le gouvernement chinois mais également un prix d’interprétation au Golden Bauhinia Awards de Hong Kong. Les deux films suivants de Fruit Chan, Hong Kong Hollywood (2001) et Public Toilet (2002), sont également très remarqués dans les festivals locaux et internationaux où ils sont projetés. En 2003, Fruit Chan laisse de côté le cinéma indépendant pour tourner le film fantastique, Nouvelle Cuisine (Dumplings), version longue du court-métrage du même nom faisant parti du film omnibus pan-asiatique Trois... Extrêmes...


Frédéric Ambroisine: Comment vous êtes-vous retrouvé sur le projet Trois…Extrêmes ?

Fruit Chan: Quand mon producteur Peter Chan m’a demandé de réaliser un segment de cette anthologie, le film s’appelait encore à l’époque Trois 2, avant de devenir Trois Monstres, puis Trois…Extrêmes, qui me semble être le titre le plus adéquat. Lorsque j’ai commencé à travailler sur Dumplings, les segments japonais et coréen étaient déjà terminés. De plus, je connaissais les histoires qu’avaient mis en scènes Takashi Miike et Park Chan-wook. Une histoire très belle et mélancolique pour le premier, et une autre à la fois drôle et très violente pour le second. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié l’humour noir de Cut. Après avoir pris connaissance des histoires de Box et Cut, je me suis dit : « Que faire pour être original par rapport à ces deux films ? ». Peter Chan et moi avons discuté quelques jours, avant de nous décider à raconter une histoire dont l’ambiance se rapprocherait de celle de la vie quotidienne. Une ambiance qui serait à la fois sombre et réaliste. C’est de la qu’est née l’idée de Dumplings.  


FA: Quel aspect de la réalité vouliez-vous montrer dans cette histoire ?

FC: Je voulais notamment évoquer le business de la beauté, qui est très important de nos jours. C’est un marché qui s’alimente presque exclusivement grâce à une clientèle féminine. Donc de façon générale, le sujet de Dumplings est la femme.

FA: Justement vous donnez dans votre film, une image de la femme hong-kongaise très obsédée par son physique...

FC: Mais c’est le cas dans le monde entier ! C’est pour cette raison que les businessmen cherchent à s’enrichir avec l’argent des femmes. Il cherchent à savoir ce qu’elle veulent pour pouvoir le leur vendre. Je pense que la beauté est un business mondial, qui ne se limite donc pas à Hong Kong. 



FA: Mais en général, à quelques exceptions près, les actrices arrêtent assez tôt leur carrières contrairement aux stars hollywoodiennes par exemple. Ce qui peut laisser penser que le public de Hong Kong est plus sélectif sur les critères physiques. Pensez-vous que cela changera ?

FC: Je pense que si une actrice tourne des films de qualité et fait venir le public, elle restera dans le circuit. Peu importe qu’elle ait 25 ou 40 ans. Dans un dialogue de mon film, on dit que tout le monde préfère les jeunes (rires). Je ne sais pas. Le public de Hong Kong est en train de changer. Il plébiscite un cinéma de divertissement, un cinéma parfois très naïf. Peut-être que le marché maintenant n’est plus seulement concentré sur Hong Kong. Le public des autres pays est assez malin et accepte plusieurs types de films pas forcément avec des stars jeunes et jolies. Vous ne pouvez pas faire des films uniquement en fonction du public. Il faut savoir parfois faire accepter votre vision au public.


FA: Depuis « Made In Hong Kong », c’est la première fois que vous tournez avec une équipe composée à 100 % de professionnels et pas des moindres…

FC: Et c’était je pense une très bonne idée. Avant Dumplings effectivement, je faisais mes films moi-même, de façon vraiment indépendante. J’étais le roi sur les tournages en quelque sorte. J’étais Le Boss. Dumpling a donc été une expérience très nouvelle pour moi. Je ne peux pas vraiment dire que je n’étais plus le roi, mais en tout cas, j’ai dû faire un certain nombre de compromis avec les autres, qui voulaient tous être des rois en fonction de leurs différentes positions. Par exemple je devais écouter les idées que me proposait mon directeur de la photographie, Christopher Doyle, qui est notamment très connu pour son travail avec Wong Kar-wai. Et j’ai dû admettre effectivement, qu’il était très créatif sur les lieux de tournage. Il assurait vraiment sur le terrain. De son côté, Peter Chan m’a donné une liberté totale pour mener à bien mon projet. Nous avions tous les deux été enthousiasmés par l’histoire de Lilian Lee, qui est également l’auteur du roman qui a inspiré l’excellent film de Chen Kaige, Adieu Ma Concubine en 1994. Comme toute l’équipe de Dumplings a été performante, le tournage s’est déroulé dans une ambiance sereine, voire joyeuse.


FA: Il s’agit d’un film d’horreur à la base, mais où sont évoqués des sujets d’actualité comme l’inceste, l’avortement, la relation entre Hong Kong et la Chine. Malgré sa vocation commerciale, avez-vous tenté de situer Dumplings dans la lignée de vos drames sociaux réalisés auparavant ?  

FC: Non, pas du tout. Le film possède mon style, c’est sûr. Mais quand on fait un film de genre à Hong Kong, c’est avant tout pour qu’il rapporte de l’argent. Les investisseurs se soucient plus du succès commercial que des divers problèmes de sociétés évoqués dans le film. Donc mon approche à été complètement différente par rapport à mes précédents films. 

FA: Parlez-nous de votre super trio de comédiens : Bai Ling, Tony Leung Ka Fai et surtout Miriam Yeung, la spécialiste de la comédie romantique dans un contre emploi très surprenant ?!

(Rires) Vous savez, faire ce film était également un défi pour moi. Je devais réaliser une œuvre grand public tout en essayant d’y apporter une touche d’originalité, ce qui n’était pas évident. Il s’agissait effectivement du premier rôle sérieux de Miriam Yeung. Peter et moi ne savions pas si elle serait capable de le faire ou pas. La choisir nous paraissait vraiment risqué. Mais finalement, elle a su nous surprendre. Elle rêvait depuis longtemps de changer son image. Je pense qu’à Hong Kong, il est très difficile pour une actrice de comédie, de sortir du genre auquel elle est associée. Les producteurs ne lui donnent jamais la chance de pouvoir se diversifier et lui disent en gros : « tu feras des comédies toute ta vie». Lorsque Miriam a eu vent du projet Dumplings, elle a immédiatement cherché à mettre la main sur le scénario et a accepté le rôle aussitôt après lecture. Le cas de Bai Ling est également très intéressant. Vous savez qu’elle a travaillé à Hollywood pendant de nombreuses années. Je pense que c’est la première fois qu’elle tourne en mandarin, sa langue maternelle, depuis très longtemps. Donc pour les deux filles, il s’agissait d’une expérience nouvelle, unique, une combinaison improbable. Tony Leung Ka Fai fut d’une très grande aide. S’il n’y avait pas eu Tony, les actrices ne se seraient pas senties aussi à l’aise. Ils forment à eux trois une très bonne combinaison dans Dumplings.
FA: Donc au final. Ce fut facile de diriger Miriam Yeung ?

FC: Pas vraiment ! Souvent, elle me demandait le genre d’attitude qu’elle devait avoir pour telle ou telle scène. Elle voulait absolument savoir le résultat que j’attendais d’elle. Et je lui disais : « Ne te soucie pas de moi, soucie toi de ton personnage. Suis le scénario à la lettre et trouve tes propres idées. » Elle était très anxieuse de cette liberté que je lui donnais. Bai Ling, elle, a beaucoup d’expérience. Donc pas de soucis. Elle est un peu agressive, mais j’ai trouvé ça intéressant pour le personnage.


FA: Avez-vous laissé les acteurs improviser ?

FC: Nous avons eu un temps très court de tournage et nous devions préparer le plan de tournage de façon très précise. Il n’y a eu quasiment aucun changement par rapport au scénario d’origine.

FA: Non seulement Dumplings est le premier film de Miriam Yeung classé Category III à Hong Kong (équivalent d’une interdiction aux moins de 18 ans), mais en plus elle y joue une scène d’amour assez torride…  

FC: Je n’ai eu aucun soucis pour tourner cette scène d’amour. Miriam Yeung, si. Mais ce qui l’importait, c’était que ce film lui donne l’opportunité d’avoir d’autres types de rôles après celui-ci. Après ce film, peut-être qu’elle ne tournera plus jamais de comédies (sourire). Pour elle, Dumplings fut un film très important. Elle tenait vraiment à faire évoluer son image. C’est pour cette raison que nous avons dû créer pas mal de scènes comme la scène d’amour. Pour laisser un peu de place à l’émotion et également pour donner à Miriam de quoi faire travailler son imagination. 



FA: Concernant le sujet du film qui est assez cru, vous êtes-vous soucié de la censure ?

FC: Non, la censure…Pfff, je ne m’en souciais pas du tout. Il n’y a pas vraiment eu de scènes très explicites ou compliquées qui auraient nécessité des coupes.

Avez-vous utilisé un story-board ?

FC: A Hong Kong, peu de réalisateurs utilisent des story-board. Ils ont l’habitude de faire des films de cette façon. Je pense que l’on peut utiliser un story-board si on a un temps de tournage assez important. En général, à Hong Kong, le temps est une denrée rare. Les réalisateurs lisent le scénario et disent : « OK, on tourne ! »

FA: Allez-vous persévérer dans le cinéma grand public ou revenir à des projets indépendants ?

FC: Si j’ai l’opportunité de réaliser un film dit commercial, moi, je fonce. Dans le futur, je pense pouvoir emprunter deux voies, celle avec mon style, le style indépendant, et puis celle avec l’autre style… il y a plus d’offres de films grand public en ce moment, donc je pense que l’année prochaine, j’en referai un en premier lieu. Ensuite, si j’ai le temps, je reviendrai à mon style personnel.


FA: Quelle est votre opinion sur l’avenir du cinéma de Hong Kong ?

Très difficile d’en parler. Je peux vous dire en tout cas, qu’en ce moment, ce n’est pas l’âge d’or du cinéma de Hong Kong. Il n’y a plus vraiment de films indépendants. Les films dits indépendants sont les films d’étudiants qui n’auront jamais de diffusion cinématographiques. Les autres films indépendants ne rapportent pas d’argent. C’est pour cela que faire des films grand public, c’est très important. Beaucoup de réalisateurs à Hong Kong ne cherchent qu’à divertir sans se soucier de la qualité. Dans le cinéma coréen, beaucoup cherchent à combiner l’artistique et le commercial pour faire de ces films des succès. Faire des films grand public de qualité est une tache très importante. 


FA: Mais vous pouvez aussi co-produire vos projets personnels avec des pays étrangers, comme ce fut le cas auparavant ?

FC: Oui, Little Cheung a été coproduit avec le japon et Durian Durian avec la France. Peut-être parce que mes sujets sont plus compatibles avec l’esprit occidental. Si vous ne vous souciez que du marché à Hong Kong, vous ne pouvez pas survivre. C’est pour ça que nous avons besoin de co-productions avec d’autres pays. Si vous voulez continuer à faire des films, c’est la seule voie à emprunter. Même si vous avez une vision personnelle, vous devez penser quand même à la façon dont le public la percevra un minimum. C’est la chose la plus difficile, garder son intégrité tout en pensant au marché. En tant que réalisateur il faut faire de votre mieux en terme de qualité. Mais vous ne pouvez pas plaire à tout le monde de toutes façons (rires) ! J’ai encore ma trilogie à terminer sur Hong Kong. A l’origine, je devais le faire cette année mais avec Dumplings, ça a été repoussé. Mais comme je le disais précédemment, il est très difficile de faire des films indépendants à Hong Kong en ce moment. 



FA: Avez vous un message particulier pour les français qui découvriront votre film ?

FC: Oui, j’espère que vous continuerez à voir mes films. Il y en a déjà eu pas mal de distribués en France, et je vous en remercie. Faites-moi survivre afin que je continue à faire de bons films (sourire). 

Propos recueillis par Frédéric Ambroisine en octobre 2004 au Pusan International Film Festival.

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