samedi 4 juin 2011

CALIBRE 9: Entretien avec Jean-Christian Tassy (Juin 2009)

Yann Moreau un jeune urbaniste corrompu, se retrouve manipulé par une arme à feu… possédée par l’esprit d’une prostituée assassinée. Tel est le pitch farfelu du premier long-métrage de Jean-Christian Tassy, « Calibre 9 », comédie d’action sanglante et spectaculaire tournée entre 2007 et 2009, terminée en 2010 et montrée en première mondiale en le 23 avril 2011 à Lyon dans le cadre du festival Hallucinations Collectives. L'interview qui suit fut réalisée alors que le film était encore en post-production… 

Frédéric Ambroisine : Qu’est-ce qui t’as poussé à faire du cinéma ?

Jean-Christian Tassy : Je pense avoir été traumatisé assez tôt par « Duel » de Spielberg et « Le bon le brute et le truand » de Leone. Au collège déjà, avec une bande de potes on faisait des remakes au caméscope de tout un tas de films qu’on adorait. L’influence des films de Van Damme et Jackie Chan début 90 a été je pense, le moteur le plus important. Quand tu regardes ces films en boucle deux ou trois fois dans la semaine, tu apprends très vite la grammaire cinématographique et forcement t’as envie de faire la même chose.

FA : Quand as-tu étudié à l’École Supérieure d'AudioVisuel ? Qu’as-tu appris durant cette formation ? 

JCT : Je suis rentré à l’ESAV sur Toulouse en 1999, et de cette école j’ai surtout appris à me démerder par moi-même.  C’est dans ce genre d’école que tu trouves des amis à vie. Nous étions un petit groupe qui faisait en général l’inverse totale de ce qu’attendait les enseignants. Des fois ça hurlait mais en général ces mêmes profs nous soutenaient dans notre démarche. C’est ce que t’apporte une école comme l’ESAV : une liberté absolue de créer ce que tu veux. Après si ton film est nul, c’est uniquement ta faute. Quand j’ai réussi le concours de l’ESAV, mon père m’a offert un ordinateur pour faire du montage, sur lequel je me suis fait les dents et à l’école le montage en numérique n’existait pas encore. C’est moi avec d’autres potes qui enseignaient le montage aux autres élèves. Je me suis spécialisé en réalisation à l’ESAV mais j’ai commencé à gagner ma vie en faisant du montage alors je me suis spécialisé dans cette voie…

FA : Quand a été créée l’association Dark Factory ?

JCT : L’association a été créée en 2004, c’est Eric Cherrière (réalisateur toulousain) le fondateur et aussi le co-scénariste de « Calibre 9 ». C’est grâce à elle que j’ai eu envie de revenir avec une structure appropriée à la réalisation de fiction. Le but de cette association est de produire des films de genre dans la région du Sud Ouest avec les moyens du bord. Elle permet de faire des demandes de subvention au près de la Région Midi Pyrénées et autres organismes…

FA : De combien de personnes est-elle composée ?

JCT : Elle est composé de cinq réalisateurs : Eric Cherrière, Catherine Aïra, Julien Fournet, Kevin Favillier et moi-même. Il y a aussi quelques personnes qui tournent pour faire la communication de notre  association.

FA : Comment fonctionne-t-elle ?

JCT : Elle fonctionne essentiellement au système D, elle prête et loue du matériel à des prix défiants toute concurrence et surtout elle met en relation les gens en fonctions de ce qu’ils recherchent. Par exemple si tu cherches un chef op’, un monteur, un régisseur ou autre, nous avons un carnet d’adresse assez gros pour faire en sorte que le projet du film puisse aboutir. Après, c’est comme L’ESAV, tu te démerdes…


FA : Est-ce que le titre du film est un hommage à « Milan Calibre 9 » de Fernando di Leo ? De plus, l’acteur principal a un peu la même tête que Gastone Moschin. C’est volontaire ?

JCT : Je n’ai pas encore vu ce film, mais je me suis juré de le voir une fois le montage du mien fini. J’ai trouvé l’acteur principal de mon film Laurent Collombert, diw=x jours avant de commencer à tourner - suite au désistement d’un autre - donc si ressemblance il y a, c’est grâce au destin. En revanche j’ai énormément réfléchi à ce que l’ambiance de « Calibre 9 »  soit oui, un espèce d’hommage à la virulence des polars Italiens des années 70, qui étaient des films tournés dans l’urgence avec des héros qui faisaientt souvent justice eux même.


FA : Quand a commencé la préparation du film ?

JCT : La préparation a vraiment commencé en 2007 sachant que nous avions une subvention depuis 2005. Mais il a fallu un temps fou avant vraiment que je m’engage dans ce chaos. Quatre mois avant le début du tournage j’hésitais encore entre un long ou un simple court métrage tellement je flippais de me rater. Sachant qu’au tout début de l’aventure j’avais uniquement ma chef op’, Chloé Robert, qui avait envie de faire le film.  Il a fallu avec son aide, convaincre plein d’autres personnes.

FA : Combien de temps a-t-il fallu pour réunir toute l’équipe ?

JCT : Tout s’est fait dans l’urgence, l’équipe était très jeune, ils étaient contents de se faire les dents s sur mon film. On va dire qu’il y a quelques postes qui sont restés jusqu’au bout - chef op’, preneur de son, assitant réalisateur, maquileur effet spéciaux et régie -  le reste ça tournait beaucoup. C’était du genre : « Tu fais quoi demain ? Rien ? Eh bien tu seras cadreur seconde caméra de « Calibre 9 » ! ». Pour les comédiens, j’ai essayé de faire un max de répétition, mais dans l’urgence, tu prends les gens qui veulent vraiment le rôle. Si la personne avait une bonne gueule et une belle voix, c’était bon : elle avait le rôle…

FA : Est-ce que tu penses que c’est plus facile de trouver des bénévoles quand il s’agit de travailler sur un film de genre ?

JCT : Oui, quand tu tournes un week-end avec tes potes dans une maison abandonnée. Mais quand tu es responsable de minimum quinze personnes sur au total 45 jours de tournage, tu marches sur des œufs sans arrêt et tu guettes la rébellion tous les jours.  Je n’ai jamais été autant poli que sur le tournage de mon film.  Après, c’est sur que dès que tu tournes une séquence d’action en pleine rue, l’équipe est surmotivée, donc peut être que oui, le genre y est pour quelque chose.


FA : Tu es à la fois réalisateur et chef-monteur de « Calibre 9 ». Pourquoi avoir cumulé ses deux fonctions ? Pas le choix, ou tu penses qu’on est jamais mieux servi que par soi-même ?

JCT : Je pense d’abord un peu par orgueil, mais aussi surtout parce que je ne voulais pas de scripte sur ce film, ça m’aurait plus embrouillé qu’autre chose. Donc au final, si je me retrouve avec un monteur vierge du tournage, je vais devoir perdre un temps infini à lui expliquer où sont rangés les rushes, pourquoi ça été filmé de telle manière etc… Je pense faire appel à un monteur peut être vers la fin du premier montage pour avoir un regard objectif du film. J’espère de tout cœur trouver un jour un monteur sur lequel je pourrais me reposer.


FA : Dans le reportage de TLT, il est dit que les subventions reçues on servi aux costumes, à l’essence et à la nourriture. Mais il est clair également,  qu’une grande partie du budget à du servir aux effets sanglants, et aux scènes de fusillades. Quel a été le « Budget Sang & Armes à Feux » du film ?

JCT : J’avais récupéré pas mal de trucs d’anciens tournages  - guns, balles à blanc etc – et je sais que j’ai du mettre 1000 Euros en achat de flingues et autres. J’ai dis à mon maquilleur Kevin Favillier qui s’occupait des impacts et autres : « T’as 400 Euros pour tout le film, tu te démerdes ».  Kevin a brûlé un cierge et Dieu l’a apparemment aidé.

FA : Qui a chorégraphié les scènes d’actions ? 

JCT : J’ai chorégraphié la plupart des séquences d’action en collaboration avec mon assistant Raphael Piccin, mais sur le plateau il y avait en général des idées que je chopais par ci par là. Ces idées venaient en général du comédien principal (pratiquant et enseignant d’Aïkido) qui avait des idées assez cool sur le placement de son corps en fonction de telles séquences d’actions. Kevin Favillier, avec l’aide de Jean-Frédéric Chaleyat, me donnaient dès fois des pures  idées de mise en scène et quand ça ne ressemblait pas trop à du Bruno Matteï, je disais « OK les gars, C’est cool, on fait à votre idée ». Il y a quelques séquences de luttes qui ont été supervisé par un pote cascadeur Frédéric Hess, de la Troupe du Grand Koungké.


FA : Comment envisage-tu la carrière du film une fois qu’il sera terminé ?

JCT : Pour l’instant j’ai eu une chance incroyable sur ce film tourné quand même sur deux ans, le premier trailer nous a permis de taper dans l’œil d’un producteur, Axel Guyot de la société Les films d’Avalon, et qui a pris le film très au sérieux. Si jamais on arrive à le vendre à une chaîne TV et permettre de pouvoir payer l’équipe du film, ça serait super cool mais avant il faut le finir et tenter les festivals. J’espère qu’on pourra avoir une copie Zéro et pouvoir démarcher, On a fait un test de kinescopage (HD sur Pellicule 35) et franchement ça tabassait sévère pour un film tourné dans ces conditions.

FA : L’association femme justicière et armes à feu ont toujours fait bon ménage dans le cinéma. Mais dans ton film, tu choisis carrément de fusionner les deux. D’où t’es venu cette idée farfelue ?

JCT : Ca n’a pas grand-chose à voir mais la première inspiration du concept vient d’abord du film « Memento » de Christopher Nolan.  Au début du film, le montage se fait à l’envers et je crois que c’est Guy Pearce qui jette son arme mais à l’envers, ça s’aimante à sa main. Alors je me suis dis, tiens ça serait cool d’explorer une histoire de manipulation avec une arme qui fait à son personnage des choses qu’il n’a pas forcément envie de faire. Une espèce de relecture des « Mains d’Orlac ». Puis j’ai imaginé assez vite que le pistolet pourrait lui parler mais comme une nature morte. Je voulais une utilisation du fantastique assez minimaliste. Vu l’univers  assez masculin dépeint dans le film je pensais qu’il valait mieux que ce soit une femme qui trouve sa place dans l’arme et que ce soit dans une première partie de l’histoire la véritable justicière du film. Ensuite je voulais qu’une relation amoureuse s’établisse entre cette arme et le personnage principal. Je me suis dis que j’en allais en prendre pour minimum cinq ans, alors il fallait que ce soit barré jusqu’au bout. Ensuite Eric Cherrière, le co-scénariste en a remis une couche et cela a permit de finaliser un scénario de total contre culture !

FA : Parlons de l’actrice principale, Nathalie Hauwelle. Comment l’as-tu découverte et pourquoi l’as-tu choisi ?

JCT : Je connais Nathalie car j’ai monté un court métrage « John 32 » d’Eric Cherrière  - disponible sur le DVD de « Beyond Réanimator » - dans lequel elle avait le premier rôle. C’est l’époque où je ne connaissais pas forcement 10000 comédiennes sur Toulouse et en même temps j’avais pas l’impression de me tromper en pensant à elle.  Je trouve qu’elle passe super bien à l’image et je trouve le timbre de sa voix très cinématographique.  Je lui ai montré le scénario en 2005 et en 2007 je la rappelle et je lui dis : « Tu veux toujours tourner dans mon film ? ». Comme elle est un peu timbrée, elle a dit oui.


FA : Pourquoi avoir fait de ton héroïne une (ex-)prostituée ?

JCT : A l’époque, « Sin City » de Rodriguez  n’étais pas encore sorti, et plein de potes me faisait découvrir les œuvres de Frank Miller. Cela a, je crois, beaucoup compté et  je me suis dis s’il y a bien des femmes qui veulent se venger des mecs, ce sont bien les prostituées. En même temps je voulais qu’elle soit une prostituée comme Melville les filmait dans ses polars. De façon assez prude. Je l’ai plus filmé comme une femme fatale que comme une prostituée contemporaine….


FA : Est-ce qu’il a été facile de la convaincre Nathalie Hauwelle d’incarner une arme à feu pendant la majorité du film ? 

JCT : Quand je lui ai expliqué son rôle, je lui ai dit : « Dans mon film, tu es le personnage principal du scénario et en même temps on ne risque pas de te voir plus de 20 minutes dans le film ».  Elle a paru surprise puis quand je lui ai expliqué le principe, ça lui a bien plu.  De toute façon, elle ne pouvait m’accorder beaucoup de temps, vu qu’elle joue énormément au théâtre dans les quatre coins de la France.

FA : Comment l’as-tu dirigé pour ses « scènes réelles » ?

JCT : Je l’ai dirigé du mieux que je pouvais, il fallait que je la mette en confiance qu’elle ne sente pas convoquée sur le plateau pour être uniquement de la chair à canon. Le premier jour de tournage, elle devait tourner avec des comédiens jouant ses clients. Trois clients qui devaient lui passer dessus. Ça c’était le matin. Ensuite l’après midi, elle devait descendre - et donc remonter - trois étages - en tout une quinzaine de fois -  de l’hôtel miteux en  petite tenue devant plein de figurants. Et le soir, elle devait sortir en nuisette sous la pluie en pleine rue. Elle a fini la soirée en pleurs et le lendemain elle était à l’heure toute souriante !!!

Entretien réalisé en juin 2009 par Frédéric Ambroisine.

L'EAU DU DIABLE: Entretien avec Amirul Ahram (Vesoul 2007)

La grande majorité des documentaires montrés durant la 13ème édition du Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul qui eut lieu du 13 au 20 février 2007, étaient des œuvres engagées, qui traitaient de situations particulièrement révoltantes. « L’Eau du Diable », du réalisateur bangladeshi Amirul Arham, en fait partie. 


 Le petit Azad, une des nombreuses victimes de l'Eau du Diable.

Fred Ambroisine : Comment êtes-vous devenu réalisateur ?

Amirul Arham : Avant de m’intéresser au cinéma,  j’ai fait des études de médecine. Je me suis ensuite dirigé vers le théâtre avant d’intégrer une école de cinéma au Bengladesh. Après avoir obtenu mon diplôme, je souhaitais approfondir mes connaissances audiovisuelles.  J’ai eu la chance d’obtenir une bourse pour venir faire la suite de mes études en France. Je suis donc arrivé ici avec ma grosse valise, 200$ en poche, en connaissant trois mots de français. Durant mon apprentissage, j’ai notamment fait un stage avec Jean Rouch et j’ai commencé à m’intéresser aux documentaires. 

 "L'Eau du Diable" de Amirul Ahram (2007)

FA : L’Eau du Diable parle d’un sujet extrêmement grave…

AA : Dans « l’Eau du Diable »,  je parle de 75 millions de personnes en Inde et au Bengladesh, qui boivent chaque jour, de l’eau contaminée par l’arsenic. Ce nombre datant d’il y a deux ans, à augmenté depuis. L’UNESCO a récemment annoncé qu’il y avait 43 pays à ce jour, dont l’eau contient de l’arsenic. Aux Etats-Unis, en Californie particulièrement, il y en a. Mais comme ils ont les moyens de filtrer l’eau, cela ne pose pas de problème. Les pays riches peuvent avoir de l’eau potable. D’un autre côté, dans les pays pauvres comme le Bengladesh, les gens sont en train de mourir. En Afrique, les statistiques montrent qu’il y a quatre litres d’eau par habitant. En Californie, il y a 1800 litres d’eau par tête. Il faut trouver un moyen pour équilibrer la balance.

 L'eau, c'est la vie. Normalement...

FA : La majorité de L’Eau du Diable est en « voice over ». Pourtant, certains passages sont en version originale avec sous-titres. Pourquoi ?

A l’origine, le film était entièrement sous-titré. Mais les co-producteurs France 5 et France 3, m’ont fait comprendre que « L’Eau du Diable » allait être diffusé à la télévision pour un public qui n’aime pas forcément lire les sous-titres. J’ai donc accepté de faire un doublage. Mais pour certains passages, je ne pouvais m’y résoudre, et j’ai réussi à imposer mon point de vue et négocier avec eux. L’émotion du passage où Rheka discute avec son fils aurait disparu si on l’avait doublé. Idem lorsqu’à l’hôpital, Nazma donne à sa sœur Asma, des nouvelles de sa petite chèvre. C’est magnifique, car les deux fillettes avaient oublié qu’on les filmait. Elles étaient vraiment dans leur monde.

 Une mère donne à boire à son fils...

FA : Lorsque vous avez eu l’accord de ces personnes pour tourner dans votre film. Etiez-vous autorisé à tout montrer ?

Avant de tourner ce film, j’avais déjà un engagement direct avec tous ces gens, à titre personnel. Je m’étais engagé envers quatre personnes : Rekha, son fils, Nazma et Asma (1). Nazma vit maintenant chez mon frère. Avant d’être des personnages de mon film, c’était des amis. Je vis avec eux. Ils font partie de ma famille.  Pour un de mes précédents films, "Les Oubliés du Bangladesh", j’ai vécu dans les bidonvilles avec les personnages. Je procède toujours de la sorte.

 Asma, toujours souriante malgré la maladie...

FA : Sur ces millions de personnes contaminées, pourquoi avoir choisi de filmer ces familles en particulier ?

Pour « L’Eau du Diable », j’ai filmé 78 heures de rushes sur 5 ans. J’ai suivi au moins 16 familles durant cette période. J’aurais pu faire une série de 16 fois 52 minutes. Mais bon, comme j’avais signé pour un documentaire, il fallait faire un choix, et surtout il fallait que j’expose le problème. Avant moi, personne n’avait parlé de cette catastrophe, qui est l’une des plus grandes qu’ait connu notre civilisation selon l'Organisation Mondiale de la Santé. J’ai choisi Rheka, car son cas est très représentatif de certains problèmes sociaux.  Son mari l’a quittée à cause de sa maladie, elle vit seule avec son fils, et gagne l’équivalent de 13 euros par mois. J’ai aussi choisi de montrer Shajahan, le chanteur, pour pouvoir donner de la couleur à ce pays, qui malgré sa pauvreté matérielle, est très riche humainement. Ces gens sont malades, mais ils réussissent à sourire et à faire preuve d’une énergie incroyable.

Propos recueillis par Frédéric Ambroisine le 15 février 2007.
Merci à toute l’équipe du Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul.

(1) Asma est morte le 1er janvier 2005.

NB: Pour louer ou acheter le film, en version française ou in English c'est ici: http://www.filmsdocumentaires.com/films/242-eau-potable-2

vendredi 3 juin 2011

AUDITION: Entretien avec Takashi Miike (Février 2002)

A l’occasion de la sortie de Audition, le prolifique Takashi Miike (une quarantaine de films en 10 ans), est venu en assurer la promotion entre deux (ou trois) tournages. L’occasion pour nous de faire un peu mieux connaissance avec cet auteur considéré comme l'une des figures majeures du cinéma japonais de ces 5 dernières années, et que le grand public pourra enfin découvrir le 6 mars 2002.
Takashii Miike à Paris  (5 février 2002)

Fred Ambroisine: Comment expliquez-vous le fait qu’Audition soit votre œuvre la plus médiatisée ? Pensez-vous que c’est le plus accessible de vos films?

Takashi Miike : Je pense que c’est dû au fait que la grammaire de cinéma que j’ai utilisée était assez classique. La façon dont se développe la première partie est tout à fait classique. La deuxième, en revanche provoque plutôt une sorte de stimulation visuelle très forte. Le thème abordé peut être pris aussi par certains pays comme féministe. Dans d’autres, on y verra surtout le coté violent. Il y a tellement de façons de voir ce film que je crois que c’est la raison pour laquelle il peut être vu et apprécié dans plusieurs pays.

Fred Ambroisine: Pensez-vous que le mélange des genres soit une des caractéristiques de vos films qui fait en partie leur originalité ?

Takashi Miike : Je n’aime pas tellement la classification en genre. Je pense que les genres ont été inventés par les critiques et les distributeurs par commodité. Mes films sont le résultat de ce que je désire faire au moment où je le fais sur le plateau. Et c’est la seule façon que j’ai de travailler. Les explications, c’est vous qui pouvez les donner.
"Audition" de Takashi Miike (2002)


Fred Ambroisine: Parlez-nous de votre rencontre avec l’écrivain Murakami dont vous avez adapté le livre Audition ?

Takashi Miike : Ma rencontre avec Murakami s’est faite uniquement par les livres. J’étais un de ses lecteurs, lui était un auteur de best-sellers. C’était vraiment une rencontre à sens unique où, moi, dans mon coin, je regardais cet écrivain pas tellement plus âgé que moi avec beaucoup d’admiration. J’étais un fan de son œuvre. 
"Audition" de Takashi Miike (2002)

Fred Ambroisine: Où en est votre adaptation de La consigne des bébés automatiques (NDLR : roman également écrit par Murakami)?

Takashi Miike : C’est vrai que j’ai l’autorisation formelle de Murakami d’adapter le roman, même si lui est persuadé qu’on ne peut pas en faire un film. Il m’a dit ‘’D’accord, si tu peux le faire, fais-le !’’ Mais je ne pense pas que ce soit dans un futur immédiat. Je pense qu’il me faudra du temps. Je me souviens que lorsque j’ai lu ce livre à l’âge de 20 ans, je l’ai trouvé suffisamment intéressant pour pouvoir envisager d’en faire un film un jour, mais ce n’est pas encore demain la veille. Je prendrai mon temps, je continuerai les préparatifs… Je ne sais pas quand le film verra le jour, mais je n’ai pas envie de renoncer à ce rêve.
Takashii Miike à Paris  (5 février 2002)
 Fred Ambroisine: Est-ce principalement une raison de budget ? Ce film demanderait effectivement pas mal de moyens pour un drame…

Takashi Miike : C’est vrai que le budget est un gros problème. Mais ça vient plutôt de l’histoire elle-même. L’actualité a dépassé ce qui était dépeint dans le roman. Ce qui était presque futuriste à l’époque où ça a été écrit, est maintenant rattrapé par la réalité. C’est plutôt de ça dont il s’agit.
Fred Ambroisine: Utilisez-vous des story-boards pour certains de vos films ?

Takashi Miike : Non.

Fred Ambroisine: Quelle part donnez-vous à l’improvisation ?

Takashi Miike : En général, je pars sur la version finale du scénario. Et selon certains d’entre eux, il peut y avoir jusqu’à 20 images fortes qui ressortent, mais ça peut être aussi 4. A ce moment là, mon travail consiste à réunir une image à l’autre et pendant ce travail de jonction, il peut arriver que le numéro se modifie. Et je passe mon temps à rabouter et réunir des images qui évoluent. Je suis tout le temps, en cours de tournage, en train de relier une image à l’autre. Des images qui sont en moi mais nées de la lecture du scénario.
J’utilise à mon avantage le fait que les durées de tournage au Japon soient très réduites. Alors que dans le monde entier, c’est considéré comme un moins, moi, je le tourne à mon avantage. C’est sous la pression de toutes ces conditions contraignantes que, dans la hâte, je réunis les images et tourne. C’est une pression qui m’est favorable.
"Dead or Alive" de Takashi Miike (1997)
 
Fred Ambroisine: Vous tournez des films pour le cinéma et pour la vidéo. Pourquoi ce choix ? Pourquoi ne pas se concentrer sur un seul type de support ?

Takashi Miike : C’est comme un enfant qui a autour de lui des jouets différents, et je ne vois pas pourquoi je me passerais du plaisir de m’amuser avec tel ou tel jouet. J’aurais envie d’essayer celui-ci et celui-là. Quelques fois, je combine des jouets ensembles. J’ai fait des utilisations de ces jouets auxquelles les adultes qui les avaient inventés n’auraient même pas pensé. D’autre part, le cinéma c’est aussi des rencontres. Par exemple les gens de la télévision ont une vision du cinéma qui est très intéressante, et c’est très plaisant de parler avec eux. J’apprend beaucoup en parlant avec des gens de médias différents. De la même manière que je refuse la classification des genres, je refuse de me limiter à tel ou tel support. Quand je me présente, je pense même à me faire une carte de visite du style ''je suis quelqu’un qui ressemble à un réalisateur et qui tourne quelque chose qui ressemble à du cinéma''.


Fred Ambroisine: Pensez-vous que la plupart de vos films soient réservés à une audience spéciale pouvant trouver le recul nécessaire pour comprendre l’humour de certains de vos films violents comme Ichi the Killer par exemple ?

Takashi Miike : Les spectateurs pour qui je fais mes films sont des spectateurs comme moi. Donc, effectivement, le nombre de spectateurs comme moi est peut être assez limité, mais je ne fais pas des films afin de m’en servir comme une arme pour pouvoir toucher un très large public. Je fais des films pour les spectateurs comme moi. S’ils sont nombreux tant mieux !
Tadanobu Asano dans "Ichi The Killer" (2001)

Fred Ambroisine: Est-ce qu’adapter une œuvre littéraire prend plus de temps qu’adapter un manga ?

Takashi Miike : Non, je ne pense pas qu’en fonction de l’œuvre, le temps de préparation soit différent. Ce qui me décide à faire une adaptation que ce soit une œuvre littéraire ou un manga, c’est le respect que j’ai vis à vis de l’auteur et la nécessité que je ressens de faire un film à partir de cette œuvre. L’approche de l’œuvre quelle que soit sa nature est à peu près la même. L’adaptation qui m’a pris le plus de temps c’est justement Ichi the killer, où il m’a fallu 3 ans du début des préparatifs à la fin du tournage. Et c’est peut-être l’œuvre dont les spectateurs pensent que je l’ai tourné le plus facilement. Bien sûr, pendant ces trois ans, j’ai fait d’autres films mais c’est l’adaptation qui m’a pris le plus de temps. 
Carnage mémorable dans "Ichi The Killer" (2001)
Fred Ambroisine: Vous avez réalisé le making-of de Gemini de Shynia Tsukamoto et lui même a tourné dans certains de vos films (dont Ichi the Killer). A quand remonte votre première rencontre ?

Takashi Miike : Voilà comment j’ai rencontré Tsukamoto : son frère cadet est un acteur que vous avez pu voir dans Tokyo Fist. Il était également acteur dans un de mes films. On discutait, et il m’a parlé de son frère réalisateur. Peu de temps après, j’ai eu l’occasion de tourner dans un lieu qui avait été réservé depuis très longtemps par Tsukamoto. C’était un bâtiment qu’il avait loué pour une semaine pour le film Bullet Ballet. Mon projet s’était décidé très vite et il me fallait absolument ce lieu. Quand la production en a parlé avec Tsukamoto, il a dit que c’était OK. Tsukamoto devait tourner au premier, et moi au rez-de-chaussée. J’ai trouvé ça étonnant de sa part. J’avais seulement besoin d’une journée. Le jour du tournage, je suis allé le saluer pour lui dire merci et il préparait à ce moment un plan d’une chute avec un cascadeur couvert de sang. Il a alors tourné la tête vers moi avec des yeux hagards qui ne voyaient pas la réalité. J’ai bien vu que je le dérangeais et qu’il était ailleurs, dans sa scène... Je suis donc descendu et j’ai tourné à peu près une dizaine de scènes et à la fin du tournage, je suis remonté. Et ce qui m’a complètement surpris c’est qu’il était encore dans la même position, préparant le même plan. Là je me suis dit ‘’On dit que je suis fou, mais c’est pas moi qui suis fou, lui est fou, à côté, moi je suis normal !’’. C’est quelqu’un de très différent mais de formidable.
  Shinya Tsukamoto, Nao Omori, Tadanobu Asano, Paulyn Sun & Sabu - Photo promotionelle de "Ichi the Killer" (2001)
Fred Ambroisine: La majorité des producteurs avec qui vous travaillez vous laissent-ils facilement carte blanche ?

Takashi Miike : Les mêmes producteurs selon la situation peuvent réagir différemment. Nous ne sommes pas dans une position d’opposition puisque moi, je sais très bien que j’ai besoin du producteur. Je reconnais cette relation de complémentarité. Cependant c’est vrai que quelques fois on me dit imprévisible, mais c’est mon caractère et c’est vrai que c’est sur le plateau que mes idées s’accélèrent. Donc je ne peux pas tout prévoir à partir du scénario. Je suis comme je suis, eux ils le savent. Je sais aussi par expérience que je ne peux pas tout écrire et que si j’écrivais tout, mes projets seraient peut-être refusés. En revanche, je sais aussi que si je montre les scènes que je veux vraiment tourner au producteur et qui n’étaient pas prévues, en général, ils sont d’accord. Je n’ai pas le choix, j’ai besoin de leur accord mais ce n’est pas une manière de procéder traditionnelle. Par exemple, pour Dead or Alive, si j’avais parlé de la dernière scène le producteur l’aurait refusée. Et quand il l’a vue finie, il a dit ‘’C’est limite mais pourquoi pas ?’’. Certains producteurs m’ont accepté depuis le début mais pour d’autres c’est plus dur sans qu’il y ait pour autant opposition.
 Gorô Kishitani dans "Graveyard of Honour" de Takashi Miike, remake du classique de Kinji Fukasaku, "Le Cimetière de la Morale"


Fred Ambroisine: Vous avez tourné un remake du Cimetière de la Morale de Kinji Fukasaku. Pensez-vous que le personnage central du film est proche de votre univers ? Et parlez-nous également de votre projet du remake de Zatoïchi, le samouraï aveugle.

Takashi Miike : Le film de Fukazaku était plein de force et de vitalité. A l’époque la Toei était très puissante. C’est vraiment un film que j’aime beaucoup. Un jour, j’étais sur un tournage et un producteur m’a proposé d’en tourner un remake. Moi, je suis quelqu’un de très nature. Quand on vous propose le remake d’un film que vous avez beaucoup aimé, vous êtes content ! J’ai donc dit ‘’D’accord, c’est formidable’’. Mais en fait, ce n’est pas vraiment un remake. J’ai transposé l’histoire dans le monde contemporain. C’est une deuxième adaptation du roman. L’histoire est différente, une histoire d’amour entre un homme et une femme dans le milieu des Yakuza. Concernant Zatoïchi, je ne veux surtout rendre hommage à Shintaro Katsu (NDLR : qui interpréta le rôle du samouraï aveugle dans plus d’une vingtaine de films), qui était un acteur formidable. Je veux faire un remake pour pouvoir incorporer la force de Shintaro Katsu, me l’approprier, récupérer de cette énergie dont il débordait…

Entretien réalisé le 5 Février 2002 par Frédéric Ambroisine. Remerciements à Takashii Miike, Catherine Cadou (interprète) et Sophie Bataille (service de presse).

jeudi 2 juin 2011

LA VALLÉE DES PLAISIRS (BEYOND THE VALLEY OF THE DOLLS): Entretien avec Lynn Carey / Mama Lion (Décembre 2003)

Collaboratrice majeure de Stu Phillips sur la musique de La Vallée des Plaisirs a.k.a. Beyond The Valley Of The Dolls, Lynn Carey et sa voix rugissante ("Find It!") furent, pendant de nombreuses années, éclipsées de la première BO officielle du film culte de Russ Meyer. Grâce au label anglais Harkit Records, qui a réédité, en 2003, les morceaux originaux, cette injustice est aujourd'hui réparée. Rencontre avec la lionne.


Fred Ambroisine : Vous avez grandi dans un milieu artistique. A quel moment avez-vous prix conscience de votre voix inhabituelle ? et quand avez-vous commencé à écrire et chanter en professionnelle ?

Lynn Carey : J'ai commencé à chanter très tôt. Je chantais seule, mais j'avais aussi un groupe avec mes deux sœurs, Theresa et Lisa. Mes trois frères étaient également branchés musique. Donc ma famille était une sorte de "Von Trapp family" (NDR : en référence à La Mélodie du Bohneur) musicalement parlant. Je n'avais pas réalisé que ma voix était inhabituelle. Je chantais juste parce que j'adorais ça. Durant mon adolescence, j'ai pu me rendre comte de sa puissance, de sa flexibilité. J'étais consciente de mon don. Ma mère et mon père chantaient également, je pense que c'est plus ou moins dans les gènes. Mon travail est devenu professionnel à la fin de mon adolescence, quand j'ai formé le groupe C.K. Strong ". Harold Robbind m'a donné mon premier chèque en tant que " songwriter ". 



Lynn Carey & son père en 1972

Fred Ambroisine : Quelles étaient vos idoles cinématographiques ou musicales ? Ont-elles influencé votre travail en tant qu'actrice et chanteuse ?


Lynn Carey : Mon père a eu une très grande influence sur moi, et initialement, les stars que j'idolâtrais étaient de sa génération : William Holden, Richard Burton, Jimmy Stuart, etc… Avec lui, j'allais voir tous les films étrangers. J'ai donc pu apprécier les performances de beaucoup d'artistes européens tout autant ou même plus que les américains. Au niveau musical, nous avions tous l'habitude d'écouter les comédies musicales de Broadway sur lesquelles nous dansions et chantions en cœur. J'ai adoré West Side Story, Peter Pan, Annie Get Your Gun, et d'autres " hits " de Broadway de cette époque. Après ça, je suis tombée amoureuse du Jazz et du scat d'Ella (NDR : Fitgerald), du blues de Billy Holliday qui ont eu une grande influence sur moi. J'adorais également les musiciens comme Miles Davis et John Coltrane. Mes groupes de rock favoris étaient The Rolling Stones et The Beatles


  Lynn Carey dans les 60's 

Fred Ambroisine : Vous avez débuté dans le " show business " au milieu des années 60 quand vous étiez encore une adolescente, dans des séries come Wild Wild West ou Lassie, et même dans un film Lord Love A Duck. Comment est-ce arrivé et pourquoi avez-vous stoppé votre carrière d'actrice après The Seven Minutes ?
Lynn Carey dans "Lord Love A Duck" (1966)

Lynn Carey : A l'époque j'étudiais à l'American Academy of Dramatic Arts. Un jour, à la maison, Georges Axelrod a vu ma photo sur le piano de mes parents, et à décidé qu'il voulait me faire passer une audition pour Lord Love a Duck. Il m'aimait bien et j'ai eu un second rôle dans ce film, celui de Sally Grace. Après, j'ai eu un agent et j'ai fait la tournée des auditions. Les choses allaient plutôt bien. J'ai fini par avoir un petit rôle dans la série Run For Your Life (NDR : avec Ben Gazzara), mais en général, je trouvais les castings trop éprouvants. Je pensais avoir plus de liberté en écrivant et chantant mes propres chansons dans un groupe à moi. J'écrivais des poèmes depuis ma plus tendre enfance, donc passer à l'écriture de chansons fut une progression naturelle.

Fred Ambroisne : Lorsque vous avez commencé à travailler sur Beyond the Valley of the Dolls, aviez-vous déjà sorti plusieurs albums ? Comment cela a-t-il commencé ?

Lynn Carey : J'ai été contactée via mes managers, Bob Fitzpatrick and Robert Stigwood, qui ont appelé le compositeur/arrangeur/producteur, Stu Phillips, et lui ont passé mon album de C.K. Strong, qui était a l'époque mon unique disque. Stu recherchait une chanteuse à la voix très forte, et il a apprécié ce qu'il a entendu. Il m'a proposé de co-écrire deux chansons avec lui. Travailler avec lui fut fantastique. Les musiciens furent une révélation pour moi. Stu et moi sommes devenus amis depuis. 

Fred Ambroisine : Pouvez-vous me parler du contenu de " Find It " ?

Lynn Carey : Tout d'abord, j'ai lu le scénario de Russ Meyer et je l'ai trouvé d'une violence inouïe ! Lorsque j'ai rencontré Stu Phillips, je n'avais en tête que ces images de mariage en noir et de tête coupée. J'ai essayé de mettre toute cette sensation de meurtres en série, toute cette violence, dans la chanson. Lorsque j'ai dit à mon père que j'étais en train d'écrire deux chansons pour un film contenant des scènes de lesbiennes et des meurtres en série (rires), il m'a regardé avec l'air de dire " Mon Dieu, que vas-tu faire après ? ". " Find It " fut écrit en 10 minutes, d'une traite. Cette chanson représente l'idée que je me faisais du mariage à l'époque, qui représentait la mort. L'idée qui est aussi exprimée dans le film.

Fred Ambroisine : et Once I Had Love est l'opposé de cette chanson …

Lynn Carey : Oui. En fait, cette chanson avait été écrite pour la scène d'amour lesbienne, mais ils l'ont (NDR : la 20th Century Fox) enlevée lorsqu'il ont eu le morceau des Sandpippers. Il n'y avait plus de place pour ma chanson dans le film (NDR : On entend néanmoins une version instrumentale de cette chanson pendant le film). Il l'ont quand même gardée dans le disque de la BO. La création de " Once I Had Love " fut un peu plus longue que celle de " Find It ". L'enregistrement a pris 2 ou 3 jours. 





 
Poster allemand de "Beyond the Valley of the Dolls" (1970)

Fred Ambroisine : Vous aviez décrit un jour Seven Minutes comme étant un "autre film bizarre" de Russ Myer auquel vous avez participé ? Considérez-vous vraiment Russ Meyer comme un réalisateur bizarre ? Et comment l'avez-vous rencontré au fait ?

Lynn Carey : Je plaisantais plus ou moins quand j'ai dit ça. Je ne considère pas vraiment les films de Russ Myer comme " bizarres". Il a créé un genre personnel, c'est sûr. Je l'ai rencontré via Stu Phillips, et il était vraiment charmant.

Fred Ambroisine : Pourquoi la 20th Century Fox a choisi une autre chanteuse pour " Find It " et " Once I Had Love " sur la précédente BO de Beyond the Valley of the Dolls ? Votre voix, a-t-elle été également remplacée dans le film ?

Lynn Carey : Tout d'abord, c'est bien ma voix que vous entendez dans le film sur "Find It ", avec l'aide de Barbara Robeson aux chœurs et 2 " duets ". Par contre, pour la première BO éditée par la Fox, il ont embauché une chanteuse avec une voix ressemblant à la mienne. C'était très dur pour moi. Il y a eu une dispute entre Epic Records et la 20th Century Fox dont je n'avais pas connaissance. Heureusement, Stu a récemment donné les enregistrement originaux à Harkit Records, et c'est finalement comme cela qu'ils ont été distribués. 






L'ancienne et la nouvelle BO de "La Vallée des Plaisirs"
 
Fred Ambroisine : Votre popularité, a-t-elle augmenté après ce film et cette BO?

Lynn Carey : Oui, après BVD, j'ai fait l'album, " Vacuum Cleaner " (1971), et j'ai enchaîné avec une demo, qui ne se retrouve qu'aujourd'hui sur mon CD " Mama Lion Roars Back " sorti cette année. En toute modestie, je trouve qu'il y a de très bonnes choses dessus, notamment une reprise de la chanson de Spencer Davis " Gimme Some Loving ". Lorsqu'à l'époque, le producteur Artie Ripp, l'a entendue, il a adoré. Mais il a décidé de tout recommencer pour produire les choses à sa façon. C'est à cette époque que je suis devenu Mama Lion. Vous savez, les producteurs veulent tous travailler à leur manière. Mais Arti est un chic type. Je lui ai parlé récemment. Il travaille dans le cinéma maintenant.


 Pochettes de "Ivar Avenue Reunion" (1970) & "Vaccuum Cleaner" (1971)

Fred Ambroisine : Parlez-moi de la pochette de "Preserve Wildlife", le premier album de Mama Lion ?

Lynn Carey : Me faire poser avec le lionceau était une idée de Neil Marryweather (le bassiste du groupe). J'avais si peur. Je croyais que j'allais me faire dévorer (rires). Mais le petit n'avait que trois semaines. Il était tout simplement adorable. Il tétait vraiment, mais n'a rien pu obtenir (rires) mais après cette expérience, il est resté dingue des femmes. (rires)
Les deux versions de la pochette de "Preserved Life" (1972)

Fred Ambroisine : Quelles furent les réactions concernant cette pochette ?

Lynn Carey : Un véritable scandale à l'époque. Elle fut censurée dans beaucoup de pays. Dans certains pays, en Suède je crois, ils ont carrément collé la pochette pour cacher la photo (rires). Je n'en revenais pas ! (rires) Dans d'autres, ils cachaient mon visage mais montrait ma poitrine. C'était plutôt … " hot " (rires).

Fred Ambroisine : Parlez-moi de votre dernier album " Mama Lion Roars Back " ?

Lynn Carey : Il contient toujours des influences blues et jazz. Je l'ai fait avec mon second mari et il a beaucoup été influencé par sa culture. Mon second mari était Gitan. Il l'est toujours d'ailleurs (rires). C'est un incroyable pianiste, le meilleur que j'ai entendu.


Fred Ambroisine : Pourquoi est-ce si difficile de trouver vos albums hors des USA ?

Lynn Carey : C'est difficile de les trouver ici également. C'est pourquoi, la majorité des gens doivent passer par moi pour les avoir. Un de mes deux derniers album s'appelle "Gipsy Lovers, car j'écris à propos des choses que je connais. My sœur m'a dit un jour " You have a mini United Nation in your history of men" (rires) .

Fred Ambroisine : Et c'est la vérité ?

Lynn Carey : Bien sûr, j'ai connu un français que j'aimais beaucoup, mon ex-mari est un gitan russe. J'ai été également avec un peintre anglais, un peintre russe (rires), un italien…. Très peu d'américains (rires). J'aime beaucoup l'Europe au niveau du visuel notamment. Ici, à Los Angeles, il y a de la bonne musique, mais ça craint au niveau de l'architecture. J'aime Paris, J'adore même, les lumières, les musées, marcher dans la rue le matin pour respirer l'air frais. Lors de mon dernier séjour à Paris, j'étais avec un ami français dans le 18ème arrondissement. Je devais rencontrer un type d'un label français. Finalement, rien ne s'est fait. J'ai passé le reste de mon temps à visiter et parler avec les gens. J'adore ça. 


Lynn Carey dans les 80's

Fred Ambroisine : Vous avez déjà joué en France ?

Lynn Carey : Oui, notamment à l'Olympia, et aussi sur la Cote d'Azur dans les 70's. J'ai également joué en Allemagne, et aussi en Russie où je me rends régulièrement.

Fred Ambroisine : Dans BVD, la "vieille génération" ne semble pas apprécier le fait que les jeunes aiment le rock'n'roll. Que pensait votre père à ce sujet ?

Lynn Carey : Mes parents me disaient "Quand vas-tu faire de la vraie musique ?" (rires) Après l'affaire de la pochette de Mama Lion et les photos dans Penthouse, mon père était un peu choqué mais il m'a quand même soutenu dans tout ce que j'entreprenais. Il venait pratiquement à tous mes concerts. Il était merveilleux. Il m'a tout appris de la musique et de l'art. Il m'a poussée à apprendre des langues étrangères (français, italien et espagnol). Lorsque j'avais 14 ans, je partais de la maison en douce pour aller au club de jazz. Un jour, mon père m'a surprise alors que je sortais par la fenêtre, perchée en haut d'un arbre. Et il m'a simplement dit " Lynn, je t'y emmène au club de Jazz ".

Fred Ambroisine : Quels sont vos projets ?

Lynn Carey : Vendre mon album "latin jazz" et finir mon album rock. Je travaille sur quelques chansons en ce moments. Des ballades en majorité. Mon ami Ace Farren Ford travaille avec moi dessus. Il est très connu au Japon et dans le milieu underground. 


Lynn Carey dans les 80's

Fred Ambroisine : Que pensez-vous du revival 60's et 70's au niveau musical et de la mode ?

Lynn Carey : C'est fabuleux. Ça me donne l'occasion de ressortir mes costumes d'époques (rires). Au niveau musical, c'est intéressant, uniquement s'il s'agit de nouvelles expériences sonores rendant hommage à cette époque.

Fred Ambroisine : Quels sont vos réalisateurs ou films favoris du moment ?

Lynn Carey : J'aime bien David Lynch. Sinon, je regarde souvent "Sundance Channel", la chaîne des films indépendants. J'ai toujours aimé les films étrangers. J'ai également lu tous les auteurs français existentialistes (rires). J'espère que je pourrai revenir à Paris… au fait, je vais peut-être participer à un festival de blues en Italie, mais rien n'est sûr. Ça peut arriver très prochainement, cette année ou être repoussé jusqu'à l'année prochaine. C'est organisé par un surfeur italien qui a un petit label, Roberto Ruggieri. 


Cynthia Myers, Siouxzan Perry & Lynn Carey (2003)

Fred Ambroisine : Comment s'est passé la projection de Beyond The Valley Of The Dolls au " Nuart Theatre "?

Lynn Carey : Cette projection fut un merveilleux succès. C'était la seconde fois que je le voyais en salle. La copie était vraiment très belle, ce fut une sorte de révélation parce que j'ai pu voir beaucoup de choses que je n'avais pas remarqué auparavant. Les gens chantaient en chœur la majorité des chansons et connaissaient pas mal de dialogues par cœur. C'était aussi excellent de pouvoir rencontrer "Z-Man" après tant d'années. Tout le monde a adoré. Nous avons eu des questions-réponses après la projection. J'ai signé des CD et des photos, posé pour des photos avec les fans. Russ a fait un boulot fantastique et la musique de Stu était comme toujours, incroyable. 


Lynn Carey & Stu Phillips (2003)

Fred Ambroisine : Merci beaucoup et bonne nuit (NDR : 23h30 à LA = 8h30 à Paris)

Lynn Carey : Merci à vous. J'espère que vous vous amuserez bien à L'Etrange Festival. J'aurais aimé pouvoir être là. Prévenez-moi à l'avance la prochaine fois. Et je m'envole pour Paris aussitôt.

Interview réalisée en août 2003 par Frédéric Ambroisine. Source photos: Lynn Carey & http://www.theneilmerryweather.com