vendredi 3 juin 2011

AUDITION: Entretien avec Takashi Miike (Février 2002)

A l’occasion de la sortie de Audition, le prolifique Takashi Miike (une quarantaine de films en 10 ans), est venu en assurer la promotion entre deux (ou trois) tournages. L’occasion pour nous de faire un peu mieux connaissance avec cet auteur considéré comme l'une des figures majeures du cinéma japonais de ces 5 dernières années, et que le grand public pourra enfin découvrir le 6 mars 2002.
Takashii Miike à Paris  (5 février 2002)

Fred Ambroisine: Comment expliquez-vous le fait qu’Audition soit votre œuvre la plus médiatisée ? Pensez-vous que c’est le plus accessible de vos films?

Takashi Miike : Je pense que c’est dû au fait que la grammaire de cinéma que j’ai utilisée était assez classique. La façon dont se développe la première partie est tout à fait classique. La deuxième, en revanche provoque plutôt une sorte de stimulation visuelle très forte. Le thème abordé peut être pris aussi par certains pays comme féministe. Dans d’autres, on y verra surtout le coté violent. Il y a tellement de façons de voir ce film que je crois que c’est la raison pour laquelle il peut être vu et apprécié dans plusieurs pays.

Fred Ambroisine: Pensez-vous que le mélange des genres soit une des caractéristiques de vos films qui fait en partie leur originalité ?

Takashi Miike : Je n’aime pas tellement la classification en genre. Je pense que les genres ont été inventés par les critiques et les distributeurs par commodité. Mes films sont le résultat de ce que je désire faire au moment où je le fais sur le plateau. Et c’est la seule façon que j’ai de travailler. Les explications, c’est vous qui pouvez les donner.
"Audition" de Takashi Miike (2002)


Fred Ambroisine: Parlez-nous de votre rencontre avec l’écrivain Murakami dont vous avez adapté le livre Audition ?

Takashi Miike : Ma rencontre avec Murakami s’est faite uniquement par les livres. J’étais un de ses lecteurs, lui était un auteur de best-sellers. C’était vraiment une rencontre à sens unique où, moi, dans mon coin, je regardais cet écrivain pas tellement plus âgé que moi avec beaucoup d’admiration. J’étais un fan de son œuvre. 
"Audition" de Takashi Miike (2002)

Fred Ambroisine: Où en est votre adaptation de La consigne des bébés automatiques (NDLR : roman également écrit par Murakami)?

Takashi Miike : C’est vrai que j’ai l’autorisation formelle de Murakami d’adapter le roman, même si lui est persuadé qu’on ne peut pas en faire un film. Il m’a dit ‘’D’accord, si tu peux le faire, fais-le !’’ Mais je ne pense pas que ce soit dans un futur immédiat. Je pense qu’il me faudra du temps. Je me souviens que lorsque j’ai lu ce livre à l’âge de 20 ans, je l’ai trouvé suffisamment intéressant pour pouvoir envisager d’en faire un film un jour, mais ce n’est pas encore demain la veille. Je prendrai mon temps, je continuerai les préparatifs… Je ne sais pas quand le film verra le jour, mais je n’ai pas envie de renoncer à ce rêve.
Takashii Miike à Paris  (5 février 2002)
 Fred Ambroisine: Est-ce principalement une raison de budget ? Ce film demanderait effectivement pas mal de moyens pour un drame…

Takashi Miike : C’est vrai que le budget est un gros problème. Mais ça vient plutôt de l’histoire elle-même. L’actualité a dépassé ce qui était dépeint dans le roman. Ce qui était presque futuriste à l’époque où ça a été écrit, est maintenant rattrapé par la réalité. C’est plutôt de ça dont il s’agit.
Fred Ambroisine: Utilisez-vous des story-boards pour certains de vos films ?

Takashi Miike : Non.

Fred Ambroisine: Quelle part donnez-vous à l’improvisation ?

Takashi Miike : En général, je pars sur la version finale du scénario. Et selon certains d’entre eux, il peut y avoir jusqu’à 20 images fortes qui ressortent, mais ça peut être aussi 4. A ce moment là, mon travail consiste à réunir une image à l’autre et pendant ce travail de jonction, il peut arriver que le numéro se modifie. Et je passe mon temps à rabouter et réunir des images qui évoluent. Je suis tout le temps, en cours de tournage, en train de relier une image à l’autre. Des images qui sont en moi mais nées de la lecture du scénario.
J’utilise à mon avantage le fait que les durées de tournage au Japon soient très réduites. Alors que dans le monde entier, c’est considéré comme un moins, moi, je le tourne à mon avantage. C’est sous la pression de toutes ces conditions contraignantes que, dans la hâte, je réunis les images et tourne. C’est une pression qui m’est favorable.
"Dead or Alive" de Takashi Miike (1997)
 
Fred Ambroisine: Vous tournez des films pour le cinéma et pour la vidéo. Pourquoi ce choix ? Pourquoi ne pas se concentrer sur un seul type de support ?

Takashi Miike : C’est comme un enfant qui a autour de lui des jouets différents, et je ne vois pas pourquoi je me passerais du plaisir de m’amuser avec tel ou tel jouet. J’aurais envie d’essayer celui-ci et celui-là. Quelques fois, je combine des jouets ensembles. J’ai fait des utilisations de ces jouets auxquelles les adultes qui les avaient inventés n’auraient même pas pensé. D’autre part, le cinéma c’est aussi des rencontres. Par exemple les gens de la télévision ont une vision du cinéma qui est très intéressante, et c’est très plaisant de parler avec eux. J’apprend beaucoup en parlant avec des gens de médias différents. De la même manière que je refuse la classification des genres, je refuse de me limiter à tel ou tel support. Quand je me présente, je pense même à me faire une carte de visite du style ''je suis quelqu’un qui ressemble à un réalisateur et qui tourne quelque chose qui ressemble à du cinéma''.


Fred Ambroisine: Pensez-vous que la plupart de vos films soient réservés à une audience spéciale pouvant trouver le recul nécessaire pour comprendre l’humour de certains de vos films violents comme Ichi the Killer par exemple ?

Takashi Miike : Les spectateurs pour qui je fais mes films sont des spectateurs comme moi. Donc, effectivement, le nombre de spectateurs comme moi est peut être assez limité, mais je ne fais pas des films afin de m’en servir comme une arme pour pouvoir toucher un très large public. Je fais des films pour les spectateurs comme moi. S’ils sont nombreux tant mieux !
Tadanobu Asano dans "Ichi The Killer" (2001)

Fred Ambroisine: Est-ce qu’adapter une œuvre littéraire prend plus de temps qu’adapter un manga ?

Takashi Miike : Non, je ne pense pas qu’en fonction de l’œuvre, le temps de préparation soit différent. Ce qui me décide à faire une adaptation que ce soit une œuvre littéraire ou un manga, c’est le respect que j’ai vis à vis de l’auteur et la nécessité que je ressens de faire un film à partir de cette œuvre. L’approche de l’œuvre quelle que soit sa nature est à peu près la même. L’adaptation qui m’a pris le plus de temps c’est justement Ichi the killer, où il m’a fallu 3 ans du début des préparatifs à la fin du tournage. Et c’est peut-être l’œuvre dont les spectateurs pensent que je l’ai tourné le plus facilement. Bien sûr, pendant ces trois ans, j’ai fait d’autres films mais c’est l’adaptation qui m’a pris le plus de temps. 
Carnage mémorable dans "Ichi The Killer" (2001)
Fred Ambroisine: Vous avez réalisé le making-of de Gemini de Shynia Tsukamoto et lui même a tourné dans certains de vos films (dont Ichi the Killer). A quand remonte votre première rencontre ?

Takashi Miike : Voilà comment j’ai rencontré Tsukamoto : son frère cadet est un acteur que vous avez pu voir dans Tokyo Fist. Il était également acteur dans un de mes films. On discutait, et il m’a parlé de son frère réalisateur. Peu de temps après, j’ai eu l’occasion de tourner dans un lieu qui avait été réservé depuis très longtemps par Tsukamoto. C’était un bâtiment qu’il avait loué pour une semaine pour le film Bullet Ballet. Mon projet s’était décidé très vite et il me fallait absolument ce lieu. Quand la production en a parlé avec Tsukamoto, il a dit que c’était OK. Tsukamoto devait tourner au premier, et moi au rez-de-chaussée. J’ai trouvé ça étonnant de sa part. J’avais seulement besoin d’une journée. Le jour du tournage, je suis allé le saluer pour lui dire merci et il préparait à ce moment un plan d’une chute avec un cascadeur couvert de sang. Il a alors tourné la tête vers moi avec des yeux hagards qui ne voyaient pas la réalité. J’ai bien vu que je le dérangeais et qu’il était ailleurs, dans sa scène... Je suis donc descendu et j’ai tourné à peu près une dizaine de scènes et à la fin du tournage, je suis remonté. Et ce qui m’a complètement surpris c’est qu’il était encore dans la même position, préparant le même plan. Là je me suis dit ‘’On dit que je suis fou, mais c’est pas moi qui suis fou, lui est fou, à côté, moi je suis normal !’’. C’est quelqu’un de très différent mais de formidable.
  Shinya Tsukamoto, Nao Omori, Tadanobu Asano, Paulyn Sun & Sabu - Photo promotionelle de "Ichi the Killer" (2001)
Fred Ambroisine: La majorité des producteurs avec qui vous travaillez vous laissent-ils facilement carte blanche ?

Takashi Miike : Les mêmes producteurs selon la situation peuvent réagir différemment. Nous ne sommes pas dans une position d’opposition puisque moi, je sais très bien que j’ai besoin du producteur. Je reconnais cette relation de complémentarité. Cependant c’est vrai que quelques fois on me dit imprévisible, mais c’est mon caractère et c’est vrai que c’est sur le plateau que mes idées s’accélèrent. Donc je ne peux pas tout prévoir à partir du scénario. Je suis comme je suis, eux ils le savent. Je sais aussi par expérience que je ne peux pas tout écrire et que si j’écrivais tout, mes projets seraient peut-être refusés. En revanche, je sais aussi que si je montre les scènes que je veux vraiment tourner au producteur et qui n’étaient pas prévues, en général, ils sont d’accord. Je n’ai pas le choix, j’ai besoin de leur accord mais ce n’est pas une manière de procéder traditionnelle. Par exemple, pour Dead or Alive, si j’avais parlé de la dernière scène le producteur l’aurait refusée. Et quand il l’a vue finie, il a dit ‘’C’est limite mais pourquoi pas ?’’. Certains producteurs m’ont accepté depuis le début mais pour d’autres c’est plus dur sans qu’il y ait pour autant opposition.
 Gorô Kishitani dans "Graveyard of Honour" de Takashi Miike, remake du classique de Kinji Fukasaku, "Le Cimetière de la Morale"


Fred Ambroisine: Vous avez tourné un remake du Cimetière de la Morale de Kinji Fukasaku. Pensez-vous que le personnage central du film est proche de votre univers ? Et parlez-nous également de votre projet du remake de Zatoïchi, le samouraï aveugle.

Takashi Miike : Le film de Fukazaku était plein de force et de vitalité. A l’époque la Toei était très puissante. C’est vraiment un film que j’aime beaucoup. Un jour, j’étais sur un tournage et un producteur m’a proposé d’en tourner un remake. Moi, je suis quelqu’un de très nature. Quand on vous propose le remake d’un film que vous avez beaucoup aimé, vous êtes content ! J’ai donc dit ‘’D’accord, c’est formidable’’. Mais en fait, ce n’est pas vraiment un remake. J’ai transposé l’histoire dans le monde contemporain. C’est une deuxième adaptation du roman. L’histoire est différente, une histoire d’amour entre un homme et une femme dans le milieu des Yakuza. Concernant Zatoïchi, je ne veux surtout rendre hommage à Shintaro Katsu (NDLR : qui interpréta le rôle du samouraï aveugle dans plus d’une vingtaine de films), qui était un acteur formidable. Je veux faire un remake pour pouvoir incorporer la force de Shintaro Katsu, me l’approprier, récupérer de cette énergie dont il débordait…

Entretien réalisé le 5 Février 2002 par Frédéric Ambroisine. Remerciements à Takashii Miike, Catherine Cadou (interprète) et Sophie Bataille (service de presse).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire